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Exploration intime de la vie ordinaire

Adrien Kuenzy
18 avril 2024

John Wilson évolue dans le monde de la télévision américaine depuis une décennie. © HBO

Visions du Réel accueille John Wilson, cinéaste américain et invité spécial de sa 55e édition. Connu pour sa série de documentaires «How To with John Wilson», il apporte son regard unique sur la vie quotidienne à New York. En plus de la projection d'une sélection de films, le réalisateur anime ce jeudi une Masterclass publique à Nyon, afin d'apporter un éclairage sur son travail. Interview.

Que signifie pour vous le fait d'être l'invité spécial de la 55e édition de Visions du Réel?

Je suis très flatté qu’on soit prêt à me payer un vol pour que je me rende quelque part! Cela me permet de sortir de ma routine quotidienne et de découvrir de nouveaux horizons dans le monde du documentaire.

 

Comment est née l'idée de «How To with John Wilson» et qu'est-ce qui vous a poussé à explorer les excentricités de la vie quotidienne de cette manière unique?

Je crée dans ce style depuis de nombreuses années. Au départ, je réalisais constamment des séquences au hasard à New York, cherchant un moyen de les assembler de manière cohérente. Puis j'avais besoin d'un fil conducteur pour donner forme à toutes ces séquences disparates. J'étais confronté à un dilemme, troublé par le son de ma voix et mes compétences en écriture. C'est alors que j'ai commencé à narrer mes récits et à les transformer en petits tutoriels satiriques. Ce processus a débuté comme une simple méthode pour préserver les images, mais au fil du temps, c'est devenu une nécessité pour maintenir ma santé mentale. Je pense que cette envie de documenter le monde selon ma propre perspective a évolué de manière organique. Je suis reconnaissant à HBO d'avoir investi dans ce projet. Je n'aurais jamais imaginé qu'il aurait un jour un potentiel commercial, étant donné sa nature brute. Pour moi, c'est un moyen de découvrir la ville d'une manière très particulière. Chaque fois que je visite une ville, je suis surpris de ne jamais la voir décrite de manière authentique.

 

Comment choisissez-vous les sujets de vos épisodes?

Chaque sujet semble venir à moi d'une façon différente. Prenez par exemple le simple fait de se débarrasser de piles usagées. J'avais accumulé un tas de ces piles dans mon appartement, sans savoir quoi en faire. Ce sujet, en apparence banal, suscite pourtant des récits amusants, que ce soit en société ou en public. Chacun a une anecdote à raconter sur les piles ou sur d'autres sujets du quotidien. Les gens ignorent souvent pourquoi ils s'y attachent encore. Quand un problème semble universel, sans solution évidente, je suis très intrigué. C'est pour moi un signal qu'il faut explorer toutes les dimensions de ce dilemme. Toujours, je cherche à aborder les sujets d'un point de vue personnel, même s'il s'agit d'un angle microscopique. Les choses les plus simples révèlent souvent les plus grandes vérités. Lorsqu'on les examine de près, on découvre souvent des aspects bien plus profonds et fascinants que prévu.

 

La série a une esthétique documentaire particulière. Pouvez-vous nous parler de votre processus de tournage et de votre approche pour capturer ces moments quotidiens?

Historiquement, j'ai toujours travaillé seul, en utilisant une toute petite caméra, vous savez, de la taille d'une boîte de cigarettes. C'était facile d'être discret avec ça. Après l'université, j'ai travaillé pour un détective privé, ce qui a éveillé en moi une obsession de filmer à distance. Ce que j'aime, c'est capturer l'authenticité des gens sans qu'ils se sentent observés. Je cherche à éliminer l'artifice en filmant de manière non intrusive, en permettant aux sujets d'ignorer ma présence. Cela crée une tension palpable, une dynamique rarement exploitée dans d'autres documentaires. Je préfère généralement travailler seul, mais quand j'ai démarré avec HBO, j'ai dû collaborer avec une équipe. Je leur donnais des directives spécifiques pour capturer des aspects inhabituels de la vie urbaine pendant que je poursuivais mes propres enquêtes. Cependant, je tiens à maintenir une équipe réduite, détestant les productions imposantes qui attirent trop l'attention dans la rue. Mon objectif est d'être aussi invisible que possible.

 

Était-il aisé de faire adopter à une équipe de tournage votre style de travail?

C’était parfois être un processus délicat. Cependant, j'ai choisi ces individus spécifiquement parce que je faisais déjà confiance à leur vision. Bien que chacun ait son propre style, j'ai trouvé important de leur fournir des directives claires pour harmoniser nos approches. Pour ce faire, j'ai créé une sorte de guide, composé de GIF animés montrant des séquences que j'avais tournées. Ces GIF leur ont permis de comprendre exactement ce que j'attendais de chaque prise. Par exemple, j'ai insisté sur la nécessité de filmer chaque séquence pendant au moins 10 secondes, afin d'obtenir suffisamment de matériel pour le montage. J'encourage également à capturer les événements dans leur contexte global, plutôt que de se focaliser uniquement sur l'action principale. Je préfère les plans larges, car ils offrent une perspective plus immersive et permettent aux spectateurs de découvrir plusieurs éléments à l'écran.

 

Votre œuvre est connue pour son humour truculent et son sens aigu de l'observation. Comment trouvez-vous l'équilibre entre la comédie et le sérieux?

L'aspect comique de mon travail est assez intuitif pour moi. J'aspire à créer une densité narrative maximale, ce qui implique d'explorer toute la gamme des émotions humaines. Je puise dans mes propres expériences quotidiennes, parfois teintées de tragédie. Paradoxalement, c'est souvent dans ces moments que l'humour devient une bouée de sauvetage, une manière de transcender la sombre réalité. Vous savez, il y a des situations où l'ennui règne en maître, mais je trouve toujours un moyen de le subvertir, généralement en injectant une dose d'humour. C'est comme si je créais des collages émotionnels, mêlant le grave et le léger pour susciter une réaction chez le·la spectateur·trice. En somme, j'aime explorer cette dualité dans mes récits, car je crois que c'est ainsi que nous pouvons mieux appréhender la complexité de la vie.

 

Vous faites de grandes choses avec de toutes petites choses. Comment pensez-vous que la simplicité sert votre travail?

J'ai l'impression que nous avons récemment atteint un point critique en ce qui concerne l'utilisation de l'imagerie, que ce soit dans les films Marvel ou même avec la prolifération de photos trafiquées. Pour moi, il est essentiel que mon travail serve de refuge, comme une oasis de réalité au milieu de ce tumulte visuel. Je cherche à capturer une authenticité brute.

 

Comment l'évolution de votre série, passant d'une production indépendante à une production HBO, a-t-elle influencé l’approche de votre travail?

Je pense que lorsque j'ai commencé à travailler pour HBO, il y a eu un changement significatif. Il était impératif que notre travail soit en HD. Cependant, je réalise maintenant que la qualité visuelle ne suffisait pas ; il fallait également que la narration soit plus solide. Lorsque j'ai commencé à créer la série, mes producteur·trice·s et mes coscénaristes ont été déterminant·e·s pour m'inculquer cet aspect. Au début, c'était un véritable défi, car je ne savais pas vraiment comment raconter une histoire. Heureusement, mes collègues ont su trouver des moyens ingénieux de relier les éléments narratifs de manière innovante. Bien sûr, une fois que la série a été lancée, de nombreux ajustements ont été nécessaires, mais je crois fermement que ces changements étaient nécessaires pour renforcer la série dans son ensemble. Notre objectif principal était de préserver l'essence même de la série, car une fois que cette essence est perdue, il ne reste qu'un amas d'images dépourvu de sens.

 

La nouvelle orientation prise par le projet vous a-t-elle inquiété ?

Oh, bien sûr, j'avais très peur de tout gâcher! Et cette peur persiste à chaque nouveau projet que j'entreprends. Cependant, j'ai eu la chance d'être entouré de personnes en qui j’avais confiance sur le plan créatif. Même lors de désaccords, j'ai réalisé que ces collaborateur·trice·s avaient des réalisations que j'admirais profondément. J'ai donc dû mettre de côté mon ego et considérer leurs points de vue, car ils avaient déjà accompli des choses remarquables. La collaboration a donc été un facteur crucial qui, je pense, a enrichi mon travail d'une manière qui n'existait pas auparavant pour moi.

 

Alors, quels sont les projets futurs que vous pouvez partager avec nous aujourd'hui ?

Je suis en train de travailler sur un nouveau projet, mais j'hésite à en divulguer les détails de peur que cela ne paraisse trop banal. Je suis en phase d'expérimentation... Ce que je peux vous dire, c’est que j’envisage sérieusement à élargir mes horizons au-delà de New York.

 

Pour conclure, quelle est l'émotion principale ou le message que vous espérez que le public retienne en regardant votre série et vos films ?

J'espère avant tout que le public se sentira à l'aise avec l'idée de ne pas avoir toutes les réponses aux grandes questions. De plus, j'espère que mes œuvres aideront le public à envisager leur environnement d'une manière différente, car c'est ce que font beaucoup de mes œuvres préférées. Elles ont le pouvoir de transformer la façon dont nous percevons le monde. Voilà.

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