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Rencontre avec Mélanie Courvoisier et Cléa Masserey

Adrien Kuenzy
22 mars 2024

© Kenza Wadimoff

Le Festival Visions du Réel s’engage pour plus d’inclusivité. Entretien avec Mélanie Courvoisier, directrice administrative et opérationnelle, et Cléa Masserey, coresponsable de la participation culturelle. Avec leurs équipes, elles œuvrent à renforcer cette valeur au sein du premier festival de cinéma suisse labélisé Culture inclusive en 2021.

Qu’est-ce que le label Culture inclusive accordé à Visions du Réel en 2021 et quelles actions ont été entreprises pour l’obtenir ?

Cléa Masserey (CM) : Le label a été développé par Pro Infirmis pour créer un cadre favorable à l’inclusion dans les institutions et sensibiliser à tout ce que l’organisation défend. Notre mission a consisté à imaginer un cahier des charges, avec l’accord de la coordinatrice du label Culture inclusive, Nicole Grieve, ainsi que de la direction du festival, tout en veillant à ce que cette tâche soit attribuée à une personne spécifique.

Mélanie Courvoisier (MC) : L’idée était de concevoir un plan et de le mettre en œuvre progressivement. Cela consistait à se focaliser sur un handicap spécifique chaque année pendant quatre ans, en accumulant les actions d’une période à l’autre. Par exemple, bien que nous ayons mis l’accent sur le handicap visuel lors de la première étape, cela n’implique pas que nous abandonnons cette initiative pour la suivante.

 

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez pour mettre en place des projets inclusifs et comment les surmontez-vous ?

CM : Pour atteindre le bon public, il est crucial d’impliquer les personnes concernées dès le début. Par exemple pour l’audiodescription, nous collaborons avec des partenaires tels que L’Art d’inclure, qui nous aide à mettre en place une projection accessible de bout en bout pour les personnes malvoyantes. Ensuite, nous avons des discussions approfondies avec notre partenaire, Regards neufs, pour nous assurer de répondre à leurs besoins.

MC : « Rien pour nous sans nous » résume bien l’idée : les initiatives doivent être coconstruites avec les personnes en situation de handicap. Cela demande du temps et des ressources pour des projets pilotes. En tant que festival d’envergure, nous avons la responsabilité de nous impliquer activement dans ces questions. Même si les résultats peuvent initialement toucher peu de personnes, c’est un investissement sur le long terme. Il est important d’avoir des postes dédiés comme celui de Cléa, ainsi que le soutien de la direction, car ce sont des ressources humaines et budgétaires importantes. Ensuite, nous devons mettre en place ces initiatives, les tester, et accepter les ajustements nécessaires.

 

Comment Visions du Réel intègre-t-il les retours et les besoins exprimés par les personnes en situation de handicap ?

CM : Nous avons initié des groupes de travail impliquant différent·e·s participant·e·s pour des discussions bien avant l’obtention du label. Nous avons d’abord collaboré avec des seniors locaux, puis avec des personnes malvoyantes, et ensuite avec des personnes sourdes. Ces rencontres ont porté sur la communication, l’accueil et le contenu du festival. Ensuite, nous avons évalué les possibilités pratiques et financières pour mettre en œuvre leurs suggestions. Par exemple, l’année dernière, nous avons traduit en langue des signes la masterclass de Jean-Stéphane Bron, un succès.

MC : Si l’on se penche sur l’audiodescription, elle reste assez coûteuse, environ 10’000 francs pour un long métrage. Nous devons faire des choix, surtout avec de nombreux films en avant-première mondiale ou internationale. 

 

Qu’est-ce qui ressort principalement de ces discussions ?

CM : L’audace de tester de nouvelles idées m’a marquée. Avec le groupe du handicap visuel, nous avons remis en question notre approche : « Pourquoi se limiter à quelques audiodescriptions parmi nos 160 films ? » L’idée de rendre plus de films accessibles en lisant les sous-titres à voix haute a émergé, offrant ainsi une expérience enrichie pour les malvoyants. Cette approche a été expérimentée pendant deux années consécutives. Bien que les retours ne soient pas toujours positifs, nous continuons à chercher des solutions pour nous améliorer sans trop augmenter les coûts. Un autre point crucial est la chaîne d’accessibilité, garantissant l’accès depuis le moment de consulter le programme jusqu’à l’arrivée dans la salle de cinéma. Nous avons également formé les bénévoles à réagir de manière adaptée, par exemple en introduisant un menu en langue des signes au bar pour faciliter les commandes. Enfin, une personne sourde est venue parler de son handicap aux bénévoles et a notamment appris à saluer en langue des signes, un geste simple mais significatif.

 

Comment le festival sensibilise-t-il son public à l’importance de l’inclusion culturelle et à la diversité des expériences vécues par les spectateur·trice·s ?

MC : C’est pleinement intégré à notre festival, avec une page dédiée sur notre site web répertoriant toutes les activités et actions. Nous faisons des annonces au début de certaines projections pour expliquer les sous-titres, l’audiodescription, etc. Ces efforts sont soulignés dans nos discours, notamment par notre président, Raymond Loretan. Par exemple, la masterclass en langue des signes a été enregistrée et diffusée sur notre site internet, en y incluant l’interprète. Cette année, nous introduisons deux séances Relax avec l’association Relax Culture. Le but est de favoriser les échanges entre tous nos publics. Durant ces projections, les spectateur·rice·s peuvent s’exprimer, bouger, entrer et sortir librement de la salle.

 

Pourquoi est-ce important de développer tous ces projets ?

MC : L’inclusivité est un choix de société, où la culture appartient à toutes et à tous, y compris les personnes en situation de handicap. Cette approche rend le festival accueillant pour une variété de personnes, des personnes à mobilité réduite aux parents avec poussettes. L’objectif est de diversifier l’audience à Visions du Réel plutôt que de simplement l’élargir.

 

Pouvez-vous nous donner un exemple concret de moment marquant où vous avez constaté l’impact positif de vos initiatives inclusives ?

CM : L’année dernière, lors d’une séance, nous avons lancé une nouvelle initiative en ajoutant des sous-titres pour les personnes sourdes et malentendantes sur un film francophone, accompagnés d’indications supplémentaires. Une mère d’un enfant sourd dans la salle a été touchée par notre démarche, et m’a encouragée à collaborer avec l’Association vaudoise de parents d’enfants déficients auditifs (AVPEDA), dont elle faisait partie. Ce moment a conduit à un partenariat avec l’AVPEDA, et nous prévoyons désormais une collaboration avec elle cette année.

 

Quelle initiative n’ayant pas encore été mise en place aimeriez-vous réaliser si vous disposiez d’un budget plus important ?

MC, CM : On donnerait encore davantage de place aux expert·e·s du handicap, aux autoreprésentant·e·s qui connaissent les obstacles et les défis auxquels ils et elles font face. Nous aimerions par exemple faire un audit approfondi de l’accessibilité de notre site internet. Trouver l’information est une des premières étapes pour accéder au festival. Il est crucial de mandater des personnes concernées pour évaluer nos mesures dans le champ de l’offre culturelle, de l’accès aux contenus et de l’accès architectural notamment. 

Nouvelle initiative

Depuis plusieurs années, Visions du Réel propose une séance pour les enfants et les adultes avec La Lanterne Magique. Pour la première fois, en collaboration avec le club de cinéma, cette séance sera accessible aux enfants sourds et présentant des déficiences intellectuelles. Elle sera simultanément traduite en langue parlée complétée (LPC) et proposée en séance Relax, offrant ainsi un environnement détendu et bienveillant. La projection prendra la forme d’une ciné-conférence inédite, intitulée Les enfants d’abord, retraçant ainsi la représentation des enfants dans l’histoire du cinéma. En plus d’autres événements, une masterclass avec la réalisatrice Alice Diop sera proposée avec une traduction en langue des signes. Le film « Feu feu feu », de Pauline Jeanbourquin, sera quant à lui audiodécrit par Regards neufs, avec le soutien de la RTS.   

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